mercredi 21 novembre 2007

De retour sur l'archipel des Comores

Coucou les mzoungous !

Nous voilà à mi-parcours de notre aventure comorienne…
Trois semaines sur six déjà écoulées dans le sablier, la sensation d’entendre chaque petit grain patienter dans le goulot avant le grand saut ! Nous vivons une période de notre vie d’une richesse intense. Ça doit être pour cela, la sensation que le temps se presse…
Nous sommes donc, pour ceux qui n’auraient pas suivi, dans un petit village du sud de la Grande Comore, du nom de Singani. Nous sommes financés (c’est-à-dire nourris, logés et défrayés sur nos vols pour les Comores) par la Croix-rouge française pour former une troupe locale au clowning et au théâtre-forum. Nous avons pour mission, en 6 semaines, de créer 3 spectacles sur des thèmes qui sont en accord avec les missions de la Croix-rouge aux Comores : l’hygiène et la santé à l’école (poux, puces, teignes, puces-chiques, gâle, latrines et citernes couvertes…), le choléra (qui sévit chaque année aux Comores et qui tue une centaine de personnes à chaque fois), et l’hygiène féminine (mariage et grossesses précoces, avortements clandestins, MST et IST).
Cela, c’était le contrat de départ, ce que l’on savait avant de venir, ce qui figure sur les contrats, la réalité est toute autre…
La réalité c’est que dans notre petite bourgade, l’eau avec laquelle on se lave et on cuisine, pourrie dans une citerne non couverte, l’électricité ne vient que 3 ou 4 heures et seulement certains jours de la semaine, on ne trouve pas de légumes frais, nous sommes à 1 heure de taxi-brousse de Moroni …
Mais, malgré tout cela, nous sommes merveilleusement bien à Singani. Parce que la vie y est douce, parce que les villageois commencent à nous connaître et nous saluent, parce que nos voisins passent nous rendre visite et nous offrent des fruits au passage (bananes, papaye, mangues,…), parce que la bougie le soir en tête-à-tête, ça a son charme, parce que Mascati (notre fée du logis) nous cuisine des mets savoureux, à base de feuilles de manioc, bananes frites, poissons, lait de coco… et parce que pour l’instant, pas de problèmes de santé, même si tous les expats de la capitale, nous mettent en garde contre les vers intestinaux et autres saloperies dans la flotte. Sur leurs conseils, nous nous lavons depuis 3 jours, les dents à l’eau minérale, surtout depuis que Luis a vu qu’il y avait de nombreux vers qui barbotaient dans l’eau avec laquelle on cuisinait nos pâtes, notre riz, avec laquelle on se lavait les dents…
Et si nous sommes si bien à Singani, c’est surtout parce que la troupe Nombaba, avec laquelle nous travaillons, est constituée d’une sacrée bonne bande d’artistes, avec laquelle on refait le monde, on créé, on improvise, on discute, on répète, on recommence, on s’interroge… et c’est passionnant de bosser avec des gens d’une autre culture aussi vifs, pertinents, ouverts et sacrément doués de surcroît. Alors entre eux et nous, on peut dire que la mayonnaise a bien pris, et on n’a pas vraiment perdu notre temps, la première semaine, nous avons fait des débats et des impros sur ces 3 thèmes, la deuxième semaine, Luis et moi, avons fait la rédaction des 3 pièces, en synthétisant leurs idées et il nous reste à présent 2 semaines pour travailler la mise en scène et les forums. Nous avons 5 représentations prévues, les 1er, 2, 8, 9 et 11 décembre. Les deux premières en français, pour que Luis et moi, puissions analyser l’interaction avec le public, leur donner des conseils, confirmer qu’ils ont bien compris le système du théâtre-forum et pour que les responsables français de la Croix-rouge puissent aussi comprendre le propos. Puis, les trois autres représentations seront en comorien, on leur laisse le bébé, l’idée étant que ces spectacles tournent dans tous les petits villages de brousse des 3 îles de l’archipel… Et ceci pendant au moins, les 2 années à venir. Parce que, pour qu’un spectacteur monte sur scène, il faut impérativement qu’il puisse s’exprimer avec facilité, c’est donc toujours mieux dans sa langue maternelle !
Sinon, quelques anciens fans retrouvés à Moroni nous réclament notre duo de clowns, on va donc refaire quelques représentations pendant nos heures de libres…
Pas trop le temps de rédiger en ce moment,
Les fainénants de la lecture apprécieront. Luis reprendra le clavier à la Réunion, inch allah !
En attendant on vous embrasse très fort et on revient vous embêter très bientôt avec des histoires interminables et des tonnes de photos à mater,
A pluche,
Milie et Loulou.

De retour sur l'archipel des Comores

Coucou les mzoungous !

Nous voilà à mi-parcours de notre aventure comorienne…
Trois semaines sur six déjà écoulées dans le sablier, la sensation d’entendre chaque petit grain patienter dans le goulot avant le grand saut ! Nous vivons une période de notre vie d’une richesse intense. Ça doit être pour cela, la sensation que le temps se presse…
Nous sommes donc, pour ceux qui n’auraient pas suivi, dans un petit village du sud de la Grande Comore, du nom de Singani. Nous sommes financés (c’est-à-dire nourris, logés et défrayés sur nos vols pour les Comores) par la Croix-rouge française pour former une troupe locale au clowning et au théâtre-forum. Nous avons pour mission, en 6 semaines, de créer 3 spectacles sur des thèmes qui sont en accord avec les missions de la Croix-rouge aux Comores : l’hygiène et la santé à l’école (poux, puces, teignes, puces-chiques, gâle, latrines et citernes couvertes…), le choléra (qui sévit chaque année aux Comores et qui tue une centaine de personnes à chaque fois), et l’hygiène féminine (mariage et grossesses précoces, avortements clandestins, MST et IST).
Cela, c’était le contrat de départ, ce que l’on savait avant de venir, ce qui figure sur les contrats, la réalité est toute autre…
La réalité c’est que dans notre petite bourgade, l’eau avec laquelle on se lave et on cuisine, pourrie dans une citerne non couverte, l’électricité ne vient que 3 ou 4 heures et seulement certains jours de la semaine, on ne trouve pas de légumes frais, nous sommes à 1 heure de taxi-brousse de Moroni …
Mais, malgré tout cela, nous sommes merveilleusement bien à Singani. Parce que la vie y est douce, parce que les villageois commencent à nous connaître et nous saluent, parce que nos voisins passent nous rendre visite et nous offrent des fruits au passage (bananes, papaye, mangues,…), parce que la bougie le soir en tête-à-tête, ça a son charme, parce que Mascati (notre fée du logis) nous cuisine des mets savoureux, à base de feuilles de manioc, bananes frites, poissons, lait de coco… et parce que pour l’instant, pas de problèmes de santé, même si tous les expats de la capitale, nous mettent en garde contre les vers intestinaux et autres saloperies dans la flotte. Sur leurs conseils, nous nous lavons depuis 3 jours, les dents à l’eau minérale, surtout depuis que Luis a vu qu’il y avait de nombreux vers qui barbotaient dans l’eau avec laquelle on cuisinait nos pâtes, notre riz, avec laquelle on se lavait les dents…
Et si nous sommes si bien à Singani, c’est surtout parce que la troupe Nombaba, avec laquelle nous travaillons, est constituée d’une sacrée bonne bande d’artistes, avec laquelle on refait le monde, on créé, on improvise, on discute, on répète, on recommence, on s’interroge… et c’est passionnant de bosser avec des gens d’une autre culture aussi vifs, pertinents, ouverts et sacrément doués de surcroît. Alors entre eux et nous, on peut dire que la mayonnaise a bien pris, et on n’a pas vraiment perdu notre temps, la première semaine, nous avons fait des débats et des impros sur ces 3 thèmes, la deuxième semaine, Luis et moi, avons fait la rédaction des 3 pièces, en synthétisant leurs idées et il nous reste à présent 2 semaines pour travailler la mise en scène et les forums. Nous avons 5 représentations prévues, les 1er, 2, 8, 9 et 11 décembre. Les deux premières en français, pour que Luis et moi, puissions analyser l’interaction avec le public, leur donner des conseils, confirmer qu’ils ont bien compris le système du théâtre-forum et pour que les responsables français de la Croix-rouge puissent aussi comprendre le propos. Puis, les trois autres représentations seront en comorien, on leur laisse le bébé, l’idée étant que ces spectacles tournent dans tous les petits villages de brousse des 3 îles de l’archipel… Et ceci pendant au moins, les 2 années à venir. Parce que, pour qu’un spectacteur monte sur scène, il faut impérativement qu’il puisse s’exprimer avec facilité, c’est donc toujours mieux dans sa langue maternelle !
Sinon, quelques anciens fans retrouvés à Moroni nous réclament notre duo de clowns, on va donc refaire quelques représentations pendant nos heures de libres…
Pas trop le temps de rédiger pour vous en ce moment,
Les fainéants de la lecture apprécieront,
Luis reprendra le clavier à la Réunion, Inch Allah !
On vous embrasse tous très fort et on revient très bientôt vous embêter avec des histoires interminables et des tonnes de photos à mater...
A pluche,
Milie & Loulou.

mercredi 31 octobre 2007

En pays Betsileo

Nous retrouvons Fianarantsoa, Ambositra, Antsirabe, les 3 principales villes des hauts plateaux du centre… Dans chacune des 3, une semaine à 10 jours d’interventions diverses et variées. Heureusement la fraîcheur d’août a laissé la place à un doux printemps, les fruits emplissent les marchés. Dans un mois les premières mangues, les letchis, les fruits de la passion…

Fianarantsoa … Du 3 au 11 octobre.
Ville où les rues sentent bon, où les gens semblent un peu moins pauvres qu’ailleurs. Antoine et sa boîte de bonbons vichy (comme mon bon vieux papy Adrien dans le temps). Violaine, Franck et leurs apéros où l’on refait le monde tranquillement. Ateliers à l’alliance avec nos 70 petits, clownage et parachute un peu partout. Représentation grandiloquente devant 1400 jeunes filles et bonnes sœurs du collège St Joseph de Cluny, hystérie générale de ces demoiselles, faillit nous faire happer par la foule… Quart de finale de rugby France-blacks, écran géant et cassoulet party à l’alliance française. Puis, représentation non moins impressionnante à l’alliance devant environ 1000 personnes, dont une bonne partie agrippée aux murs ou juchée sur les arbres afin d’apercevoir la scène. Quel succès les amis ! Nos jeunes artistes en étaient tout impressionnés. Espoir caressé quelques jours de partir jouer le spectacle à Soatana (village atypique où hommes, femmes et enfants sont vêtus entièrement de blanc et où toutes les religions cohabitent cordialement) avec Pierrot Men (le Doisneau local, auteur de toutes les belles cartes postales en noir & blanc surtout, en couleur aussi, que l’on peut trouver à Mada). Tombé à l’eau ! Ça aurait pu être vraiment chouette d’avoir des photos du spectacle prise par Pierrot Men, dommage !!!

Ambositra … Du 12 au 20 octobre.
Capitale de l’artisanat. Maison du bonheur de Caro et Gildas, Super Robert et son scooter. À nouveau ateliers avec plein de petits bouts et même des plus grands, citons au passage quelques prénoms typiquement malgaches (symboles de leur appropriation très personnelle du français) : St Nicolas, Bertina, Delphin (masculin de Delphine), Mitterrand, Albertine …mais aussi dans mes groupes, des petites Emma, Erica, Juliette, petites fillettes pour me rappeler mes grandes nénettes. Pour le groupe de jonglage de Luis, nous avons droit tous les deux à un atelier travaux manuels « construction de balles en sable et ballons de baudruche », cela nous occupe notre jour de congé en entier, c’est beau le volontariat quand même ! Les cours ont lieu au collège St Louis, dirigé par le frère Jean Salla, un amour de religieux, gai, drôle, dynamique, motivé par tout ce que nous lui avons proposé. Ca m’apprendra à avoir des préjugés sur les cathos, tiens ! Et encore 3 sorties de parachute dans la semaine, le pauvre vieux commence à montrer quelques signes de fatigue, déchiré ou décousu de toutes parts, il est temps que le tour de Mada se termine, il y aura laissé quelques plumes. Entre 2 animations ou spectacles, nous faisons nos achats (plein de cadeaux pour vous les amis) et traînons dans les marchés et autres souks colorés où nous découvrons que tout se vend à Mada, tout a une deuxième vie (même les boîtes de conserves ou les bouteilles en plastique). Nous n’avons pas de leçon d’environnement à leur faire, je crois ! Dernier jour apocalyptique : Caro fait une crise de palu, Gilda gère le spectacle et un défi-lecture à l’alliance, le tout couronné le soir par une grosse beuverie façon « soirée fatapera » (brasero malgache) ! Le trajet en taxi-brousse du lendemain hume encore bon les vapeurs de rhum…


Antsirabe … Du 21 au 28 octobre.
La ville thermale, la ville carrefour. Pour nous, c’est notre 3ème passage. On s’y sent un peu comme chez soi, on y retrouve des amis, des coins de rue, des gamins qui nous reconnaissent et singent nos mimiques de clowns, des bons restos, et surtout Karine et les garçons, Stef, Jerrys et toute l’équipe de l’Arche.
Nous sommes logés à l’alliance, pratique ! Défrayés par l’alliance, selon un budget que notre gourmandise dépasse largement depuis le début de la tournée et notamment à Antsirabe où les bonnes tables se font concurrence et où, oh bonheur, il y a des fabriques de fromage. Du coup, nous nous faisons réellement plaisir et nous délectons de pavés de zébus, fondue savoyarde puis bourguignonne, raclette, soupe de crabe, gratin dauphinois, salade au camembert pané, et autres trésors de la gastronomie française, oubliés de nos papilles depuis trop longtemps déjà ! Que Lita se rassure, on a beau être loin du berceau familial, nous sommes bien nourris, nos bons gros bidons en témoignent ! Comme en Inde, pas moyen de perdre des kilos en voyage, à mon grand désespoir !!! La semaine s’écoule à grande vitesse, entre les ateliers du matin avec notre nouvelle bande de mômes, les représentations de l’après-midi (assos humanitaires, orphelinats et bonnes sœurs camerounaises et coquines), et les soirées papotage avec copine Karine, autour des rhums arrangés de Stef. Qu’il est dur le départ. Car cette fois-ci c’est sûr, c’est la dernière. Pour cette année en tout cas. Nous nous envolerons pour les Comores le 2 Novembre…

Les clowns.

dimanche 7 octobre 2007

Parcours des Clowns

Carte des Clowns Barroudeurs. Les connaisseurs ou anciens visiteurs de Mada apprécieront !!

Fort-Dauphin, ça se mérite !


36 heures de piste et de poussière pour atteindre celle qui fût le repaire des pirates et autres négriers, de part son emplacement central sur les différentes routes maritimes de l’océan indien. Des mois que l’on nous parlait de cette fameuse RN10 !!! Nous l’avons tellement redoutée, que nous nous sommes armés de 3 excellents romans, tellement captivants que nous avons presque osé dire « déjà » à l’arrivée.

Fort-Dauphin a longtemps été un paisible village malgache, replié sur lui-même de part son enclavement, vivant de la pêche des crevettes et langoustes, et de la culture du sisal. Depuis 2005, le village se transforme en ville. La raison : la construction du plus grand port en eau profonde de l’océan indien, ayant pour but l’exportation des minerais naturels. Résultat visible : un chantier gigantesque sur la plage et un trou qui ronge la montagne. Résultats secondaires : arrivée de centaines d’experts, techniciens, ouvriers d’Afrique du sud, du Japon, de France et des Philippines, inflation des loyers et du coût de la vie, écarts sociaux entre locaux et expatriés, pêcheurs locaux « indemnisés » car le chantier pollue les côtes et détruit l’écosystème marin, prostitution des jeunes malgaches poussées par leur famille, recrudescence des attaques à mains armées contre les transporteurs de fonds le jour de paye…bref, le développement profite toujours aux mêmes. C’est beau la mondialisation.

A cela s’ajoute le résultat des législatives : après des élections truquées – certains bureaux de vote n’avaient pas « reçu » à temps les bulletins des opposants (ben voyons !) donc le peuple avait le choix entre voter pour le TIM, le parti du président, le TIM ou le TIM ou ne pas voter. Au lendemain des élections, les journaux parlaient d’un taux de participation de 20 % dans tout le pays. Les nouveaux députés représentent à peine 10% de la population totale du pays. Militantisme du peuple à travers ce boycott et cet absentéisme des élections ? Non. Plutôt absentéisme du peuple à travers leur « je m’en foutisme » de ces élections annoncées truquées d’avance. En tout cas, cela ne gêne nullement le pouvoir en place, bien au contraire. L’apathie d’un peuple servira toujours le tyran qui le contrôle. L’opposition est désormais écartée à Madagascar et le dictateur a les pleins pouvoirs depuis la mise en place de la nouvelle constitution votée par référendum falsifié – ou imposée selon les points de vue - en mars dernier.

Un désastre politique, économique, social et écologique qui affecte ceux qui, justement, avaient choisi de s’installer dans ce petit coin de farniente, pour être à l’abri de la société de consommation, au cœur d’un milieu naturel magnifique, où la montagne se jette dans la mer, où l’on peut profiter aussi bien de randonner que de plonger. C’est le cas d’Alex, la directrice de l’alliance française, et Greg, son mari, qui nous ont accueilli dans leur maison (encore une fois, faute de budget de l’Alliance). Ce qui ne fût pas pour nous déplaire, au contraire. Atomes crochus aidant, nous avons vite compris que nous venions de la même planète. Et ces 2 là, si nous les avions vus un peu plus de 10 jours, auraient bien pu devenir de très bons amis ! Nous avons bien fondu devant Tom, leur petit bout de choux de 5 mois, l’occasion pour nous de confirmer notre envie de faire le nôtre !

Nous avons animé des ateliers à l’école française, finalisés à la fin de la semaine par deux spectacles : à l’école le matin et sur la plage l’après-midi. Et des représentations des clowns à droite, à gauche…bref toujours la même routine.

Après, Fort-Dauphin, il faut aussi en repartir ! La RN13, pire que la RN10, nous a mené, des travers des paysages arides aux hauts plateaux, jusqu’à Fianarantsoa en une trentaine d’heures, perchés dans notre bon vieux bus TATA. Finalement le taxi-brousse, on s’y fait !

Notre aventure à Madagascar se finit dans un mois déjà. Mais une autre nous attend pour six semaines aux Comores à partir du 2 novembre. Le Croissant Rouge nous embauche pour une création de spectacle-forum sur la Grande Comore. Puis, enfin, retrouvailles avec la Réunion et surtout avec nos nombreux amis de l’île et de la métropole - venus spécialement pour les fêtes de fin d’année. Vivement. Vous commencez sérieusement à tous nous manquer.

La France non, la famille et les amis oui.

Loumilie.

mercredi 19 septembre 2007

DE MORONDAVA A IFATY, DES KILOMETRES DE PISTES !


Une consigne : écrire avec des mots, jetés en vrac, oublier les phrases, faire concis, donner des clichés, verbaux ou visuels, aller à l’essentiel…



Morondava… … du 29 août au 1er septembre.
Ville poussière, far west, ville marécage, allée des Baobabs, Alice, James et Loriane de l’alliance française, des gamins à la pelle, gamins de poussière, fabrication de balles, parachute de poussière, poussière sur la peau, cinéma en plein air, dos bloqué de Luis, massages des mains magiciennes de Jeanne, interview à la radio, spectacle et concert reggae local.




Belo sur Mer… … du 2 au 5 septembre.
Pirogue à voile, filant, glissant, l’eau et le vent unis, complices.
Baptême de plongée de Milie, angoisses surmontées, plongée autonome de Luis, profondeur emplie de poissons zébrés, à pois, multicolores, coquillages et coraux à gogo, vie submergée, apesanteur, silence et calme. Balades, marée basse, carcasses de bateaux, pas dans le sable, pêcheurs, filets, enfants vezos et leurs superbes « jouets du pauvre », pirogues à voile de bâtons et de vieux bouts de tissus. Puis fièvres intenses de Milie, nuits frissonnantes, jours blêmes, cachée du soleil, enfouie sous la couette. Retour en urgence, pirogue à moteur, soleil de plomb mais le froid toujours en moi.









Morondava… … du 6 au 10 septembre.
Test, analyses, résultat positif, paludisme de Milie, aïe aïe aïe, traitement curatif 3 jours, guérison rapide, ouf, repos, Luis aux petits soins, Jeanne l’ancienne et ses huiles, pause dans le voyage, à mi-parcours, temps mort.

Fianarantsoa… … le 11 septembre.
Anniversaire du drame médiatique américain, anniversaire de la prise d’otage de l’Humanité… mais aussi Notre anniversaire ! Avant il y avait toi et moi, depuis 3 ans il y a toi, moi et nous. Un nous fait de rêves et de mouvements, un nous qu’on aimerait bien garder aussi vivant longtemps, longtemps !

Parc National de l’Isalo… … du 12 au 14 septembre.
RN 7 à bord du 4X4 de nos amis italiens Fransisco et Stefania, Zigi ou « Quand mal conduire devient un art ! », plaines désertes, terre ruinée en cendres. Randonnée, Colorado version malgache, cascades, canyons, lémuriens, mantes religieuses, pachypodium ou coquette fleur jaune au pied d’éléphant, criquets, chenilles urticantes, faucons, oiseaux du paradis, cri de fosa, camping 3 étoiles, avec porteur, cuisinier, tente montée et thé chaud à l’arrivée. Et Stefania, 27 ans, 1ère nuit sous tente de toute sa vie ! Jeune milanaise citadine, inadaptée à la nature, fatiguée de marcher, terrorisée par une araignée, que nous avons ri de toi, azafade ! Et après, abandon de nos milanais éreintés, quelques dénivelés, l’oasis du désert, le paradis terrestre, le décor bien réel, fontaine chaude et bassin turquoise, piscine naturelle creusée dans les rochers. Respire, ouvre les yeux, tes pores, tes papilles, que tous tes sens retiennent ce présent qui sera si rapidement souvenir, garde en toi ce précieux petit bonheur pour les temps durs.

Ifaty… … du 15 au 19 septembre.
Activités annulées à Tuléar, chômage technique, donc direction Ifaty, à 20 kms au nord. Farniente, plages, mêmes personnes qu’à Isalo, qu’à Fiana, mêmes guides dans les mains, nous sommes des touristes aussi. Fransisco devenu copain Luis, bagdamons et calumets, grands hôtels, grandes tables, piscine et chaises longues. Et si on se faisait plaisir ? L’aventure à Mada avec confort occidental. Ça peut être plaisant pour un court moment ! Elections législatives truquées d’avance. Grosse propagande. Qui s’en inquiète ? Personne…comme le corail mort dans tout le lagon…comme tout le reste qui disparaît peu à peu. Les arbres, les animaux, les écosystèmes, l’eau, la nourriture, la culture de la terre, la terre de leurs cultures. De Gaules avait proclamé « Madagascar est un pays en devenir et le restera ! » Aussi doué en prédication que Paco Rabane !

Je lis Mermet et une phrase me fait penser à nos instants « Nous sommes en train de vivre, ce que nous appellerons un jour le bon vieux temps », et c’est exactement cela !

Bonne rentrée à tous !! héhéhéhéhé !!!

Milie & Luis.
P.S : Grand jeu du Qui écrit quoi. Un indice pour ésperer que quelqu'un joue. SYNTHESE.

vendredi 7 septembre 2007

LES CLOWNS REVEURS, TETE D’AFFICHE D’UN FESTIVAL INTERNATIONAL… QUI N’A PAS EU LIEU.

OU COMMENT LE FESTIVAL ALTERNATIF DES BALEINEAUX REMPLACA LE TRADITIONNEL FESTIVAL DES GARGOTTES.


Nous sommes partis le 15 août, justement le jour de la fête des Maries (j’en profite pour embrasser tendrement les nombreuses Maries que je connais et que j’aime fort) pour l’île Sainte-Marie. À bord d’un des nombreux bateaux qui assurent la liaison Soanierana (littoral-est de la grande île de Madagascar) – Ambodifotra (principal village de Sainte-Marie), nous partons sur une des traversées les plus courtes (40 Km) et les plus dangereuses de l’histoire du pays. Les chavirements de nombreux bateaux ont défrayé la chronique, il y a quelques années. Depuis, les embarcations ont été un peu sécurisées… Cela dit nous sentons passer cette fameuse passe de Soanierana Ivongo, responsable de nombreux accidents, où les bateaux doivent surfer les grandes vagues qu’elle forme aussi bien à marée haute que basse.
Nous sentons dès notre arrivée, le parfum aigre-doux de cette île à nulle autre pareille, où se mêlent le meilleur et le pire, le beau et le laid, l’humanitaire du dimanche et le développement à long terme, la préservation et le massacre de l’environnement :

Peut-être est-ce parce que l’île est l’une des destinations incontournables de Madagascar - amenant ainsi un flot immense de touristes toute l’année (et spécialement à l’occasion du festival), peut-être aussi parce qu’elle offre un havre de paix et d’opportunisme économique, peut-être également parce que c’est la première fois que nous rencontrons autant de résidents vazahas qui peuvent nous peindre un portrait allant bien plus loin que la vision superficielle d’un touriste de passage, mais Sainte Marie, comme Mada, est loin d’être un endroit paradisiaque où les relations entre étrangers et malgaches sont des plus saines.
Pour ceux qui veulent une vision idyllique de Sainte Marie, vous pouvez consulter le guides de voyage. À coups sûrs, il n’y aura rien de ce que vous allez lire ici dans ce « petit lonely ragotard ».

Entre tirs dans les pattes et coups tordus dans le dos, il est vraiment difficile de s’implanter dans l’île tout en se faisant respecter et sans se faire arnaquer. Chose qui arrive indubitablement à un moment donné ou à un autre à qui veut s’installer ici.
Certains malgaches arrivistes n’hésitent pas à saboter le bateau d’un concurrent étranger, en lui mettant du sucre dans son réservoir par exemple - au moment même où le flot de touristes atteint son apogée - afin que ce dernier ne puisse pas faire la liaison quotidienne entre l’île et le continent. Ce malgache, qui a déjà le bateau le plus rapide et le plus cher de tous (mais aussi l’un des moins stables, il a déjà chaviré quatre fois sur la passe), veut s’imposer comme le numéro un des transporteurs de l’île. Il a même pour projet, question de couler tout le monde, d’ouvrir une liaison vers Foulpointe, importante station balnéaire entre Tamatave et Soanierana, grâce à un paquebot de luxe qui éviterait ainsi au touriste de faire une heure et demie supplémentaire de taxi brousse pour rejoindre l’île. Rusé non ?! Cependant, il risque de détruire une partie du récif coralien, du moins ce qu’il en reste, sans compter les conséquences écologiques qui résulteraient de ces traversées sur la vie maritime, mais cela est le cadet de ses soucis. Il viserait même le siège de maire en décembre prochain. S’il parvient à ses fins, l’île va certainement devenir beaucoup moins plaisante. Elle commence déjà à être bien défigurée par le tourisme, mais cela n’est rien comparé à ce qui l’attend si cet homme, Clevis, en prend le contrôle.
Il y a aussi un restaurateur malgache fort connu dans l’île, qui est prêt à dénoncer à la police celui qui critique le président de la république (pour ne pas dire la néo-dictature) Marc Ravalomanana. Vous êtes assis tranquillement en train de manger dans son restaurant, vous discutez politique, et hop peu de temps après vous vous retrouvez avec les flics en train de vous dire que votre visa ne vous sert plus à rien. Vous avez 48 heures pour quitter le pays ! Alors attention à ce que vous dites si vous allez chez « William Kid ».
Et puis il y a les gros naïfs de vazahas qui se font berner, exploiter, sucer leur argent jusqu’à la moelle et voir leurs bourses vides parce que de belles malgaches - attirantes et aguicheuses - leur ont vidé les bourses après les avoir pomper jusqu’au bout !
Elles attendent leur proie dès leur arrivée au port d’Ambodifotra. Elles scrutent la plupart du temps le quinquagénaire idéal, « le blanc en fin de course dont le monde blanc ne veut plus » comme le dit si bien Nicolas Fargues dans son excellent livre « Rade Terminus », celui qui arrivera avec deux chaises roulantes, synonyme d’un candidat potentiel pour obtenir des fonds « humanitaires ». En moins d’une demi-journée ce pataud, dont la charité chrétienne est aussi grande et pure que celle de sa prédatrice, se retrouve à s’envoyer en l’air (enfin !!) dans une chambre d’hôtel avant de dîner avec la famille de sa nouvelle petite amie. Cette dernière lui explique à quel point il faut aider les orphelins de son village à Maromandia, qu’ils meurent de faim ou que leurs oncles et tantes ne peuvent subvenir à leurs besoins. Pour cela, rien de plus simple. Il suffit d’envoyer des fonds afin de construire un centre d’accueil de jour, lequel sera situé dans sa maison qu’il faudrait entièrement refaire auparavant, avec un sol en dur, tout en bois, deux nouvelles pièces pour la salle à manger et le coin détente pour les enfants. Sans même y réfléchir, notre naïf se met à l’ouvrage immédiatement (le temps presse, il doit rentrer en France dans quelque temps), il y met de sa poche et grâce à ses contacts, la famille reçoit beaucoup, beaucoup d’argent…


Mais Emilienne, la grande sœur de cette fratrie de femmes qui tiennent le village de Maromandia d’une poigne de fer – la plus âgée étant fuketan (le chef de village), une autre directrice de la seule école du village, une autre étant l’institutrice principale – ne veut pas en rester là. Elle demande à sa petite sœur de renouer les liens avec Pascal, après avoir lâchement jeté ce dernier comme un kleenex une fois le restaurant et sa maison terminés. Il était de retour sur l’île pour l’été afin de voir les fruits de ces derniers mois d’investissements financiers.
Et le gros benêt, à croire qu’il aime ça, écoute attentivement les demandes que son ex-copine lui susurre à l’oreille pendant qu’elle le tient bien ferme entre ses cuisses.
Dès la rentrée scolaire, le centre aurait besoin de 150 euros pour pouvoir nourrir les 11 orphelins prévus. 150 euros, c’est l’équivalent de plus de six smics malgaches, c’est 13 euros par enfant par mois pour qu’ils mangent un bol de riz - avec un peu de viande à l’occasion – tous les midis. À ce prix-là, ça ne s’appelle pas de l’humanitaire mais de l’escroquerie, ou du détournement de fonds. Mais Pascal ne voit toujours rien venir. Il ne comprend pas non plus qu’il n’y a aucun enfant qui puisse mourir de faim à Sainte Marie (de malnutrition peut-être mais pas de faim) tout simplement parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour s’occuper des enfants sans parents dans ces villages, un autre membre de la famille, un voisin, des amis du défunt. Mais surtout il ne réalise pas que ces prétendus orphelins, qu’il a vu de ses propres yeux, ne sont autre que les neveux et les nièces, sinon les enfants même, de sa copine ! Chapeaux bas mesdames !
En nous faisant visiter fièrement son centre, le CADOM (Centre d’Accueil et de Développement pour les Orphelins de Maromandia), qu’il aurait mieux fait d’appeler le CONDOM, ou CON D’HOMME, il nous déclare que les pauvres orphelins sont partis en vacances avec leur famille pour l’été mais dès la rentrée, le centre sera là pour les accueillir. En vacances ?? des villageois qui peuvent se payer des vacances d’été mais qui sont dans l’impossibilité de nourrir une bouche en plus tous les midis ?
Et lorsque nous lui demandons pourquoi il y a un lit dans la nouvelle salle à manger et pourquoi la table - où ils mangeront leur repas - a l’air de servir de bureau, il nous répond, encore bercé par ses illusions, que tout cela est provisoire. Quand il partira la semaine prochaine pour la France pour récolter les fonds, tout rentrera dans l’ordre car l’institutrice, son ex, se chargera de tout !!
Mais nous n’avons pas pitié de lui. Nous savons pertinemment ce qui se trame dans cet endroit. Laëtitia, qui était venue avec lui de France en tant qu’animatrice, nous a tout raconté. Pascal lui avait caché bien des choses, comme sa relation avec son ex, le restaurant… Elle se rendit compte très rapidement de la tournure malsaine qu’avaient pris les évènements et ne se berça plus d’illusions. Ce centre n’avait aucun avenir. Si Pascal ne dit rien au bailleur de fonds à son retour sur la dernière supercherie que ces femmes manigancent, c’est elle qui le fera. Il faut arrêter cela le plus rapidement possible. Elle, comme d’autres résidents connaissant bien la réputation de cette famille, avait tenté de raisonner Pascal, mais rien n’y fait. Volonté d’y croire jusqu’au bout malgré les avertissements ? Refus ou honte d’admettre un échec flagrant ? Ou pire, conscient de son échec, veut-il tout de même prouver sa valeur d’homme « blanc en fin de course dont le monde blanc ne veut plus » ? D’ailleurs, je ne comprends pas comment quelqu’un peut prétendre « faire de l’humanitaire » lorsque, d’un autre côté, il ose se plaindre que la musique (indienne) de notre spectacle soit une musique de « bouniouls » - alors que nous sommes, selon lui, censés représenter la France - et qu’on ne veuille pas servir de porc dans les petits-déjeuners d’Air France !

Cependant même si cette « aide humanitaire » ne se fait pas, la famille d’Emilienne trouvera toujours un pigeon blanc pour s’occuper d’eux. Ils n’en étaient pas à leur première entourloupe. Quelque temps plus tôt, lorsque leur restaurant « Le Rocher » fut créé - grâce à une de ses grosses entourloupes - des touristes français se firent également arnaqués de façon royale. Au cours du dîner Emilienne, avec toute son expérience, sa culture, son parfait français et son intelligence perfide, réussi à convaincre ces ophtalmologistes en vacances de financer cinq bungalows de luxe, avec panneaux solaires s’il vous plait, en échange du logement et de la restauration gratuite à chaque fois qu’ils viendraient en vacances dans son nouvel hôtel restaurant. Ne pouvant rester pour les travaux, ils signèrent des chèques à son nom et aucun contrat ne fut signé - cela ne se fait pas à Mada, sinon comment arnaquer les vazahas ?!!
Et les revoilà un an plus tard au « Rocher » avec leurs valises. Bizarrement, Emilienne n’a plus cette chaleur amicale ni cette voix mielleuse et ensorceleuse. Ils se retrouvent face à une Emilienne aussi froide que le béton de son restaurant et aussi sèche que les feuilles de palmiers recouvrant le toit de « leurs » chambres. « Je ne vous connais pas messieurs, si vous voulez rester, il va falloir payer ! »
Au jour d’aujourd’hui, elle est toujours en procès avec ses bailleurs de fonds mais ces derniers ont peu de chances de gagner. Elle est malgache, ils sont étrangers, pas de contrats, rien qui puissent prouver, sinon les chèques, qu’ils ont été roulés.
Une de ces autres « fabuleuses » arnaques consistait, grâce à sa liste de contacts étrangers - elle n’hésitait pas à prendre les coordonnées d’un « bon » client – à envoyer un mail à chacun d’entre eux pour leur annoncer que la maison de la grand-mère du village avait brûlé dans un terrible incendie. Il fallait donc très rapidement de l’argent pour pouvoir la reloger décemment. Sa lettre était si convaincante et sa liste de contacts aussi épaisse qu’un bottin, que de partout l’argent affluait… sur son compte en banque via Western Union. Certains, qui avaient connu cette grand-mère lors de leur passage à Sainte Marie, avaient contacté leur famille afin de faire une grosse cotisation. Et voilà qu’à leur retour sur l’île, ils se rendent compte du pot aux roses en voyant cette fameuse grande mère habitant toujours la même maison et qu’elle n’a jamais été au courant d’un quelconque incendie. Certains ont tenté de se faire rembourser en allant s’expliquer avec Emilienne, mais que peuvent-ils faire ? Une fois de plus, elle est chez elle, elle a beaucoup de pouvoir ici, elle connaît du monde et les ficelles pour ne pas se faire attraper.

Les résidents vazahas ne se font pas seulement avoir par les locaux mais aussi par leur propre structure ou institution. Tel est le cas des VP, les volontaires du progrès, ces jeunes de moins de 28 ans envoyés par l’ASVP et leur conseil régional en mission de co-développement. Durant leur formation, on tente de les formater à penser qu’ils sont les représentants de la France à l’étranger, que grâce à eux le pays où ils vont travailler avance dans le bon sens, qu’ils sont les émissaires de la coopération et du co-développement international, qu’ils sont là pour « proposer et non imposer » bla bla bla…
C’est seulement au bout d’un certain temps qu’ils s’aperçoivent qu’ils ne sont que des instruments de la diplomatie française - qui veille de près à ses intérêts géopolitiques et économiques sur la grande île - des marionnettes dont on se sert pour obtenir d’énormes subventions annuelles de la part de l’état, ou par nos impôts pour être plus précis, afin de pouvoir s’en mettre plein les poches.
C’est le cas de Michaël, le colocataire de Laurent - directeur de l’Alliance Française et également VP de la réunion – venu à Sainte Marie en mars dernier pour développer l’agriculture locale, afin de réduire les importations des produits alimentaires - venant principalement de Tana et Tamatave. Après 4 mois à attendre en vain les financements pour commencer son projet, à avancer de l’argent de ses propres poches, le conseil régional de la Réunion (sûrement les plus gros escrocs de tous) vient de lui faire comprendre qu’il n’aura rien avant janvier prochain. Raison invoquée : Revoir le mode de financement.
Cependant, c’est en septembre que commencent les semis et il n’a même pas reçu les semences que Kokopelli - association qui récolte, catalogue, produit et vend des semences ancestrales, bio et en voie de disparition – avait fait don à l’ASVP de Paris. Raison invoquée : sur les 30 employés parisiens, aucun n’était habilité à recevoir ce colis ou à l’envoyer à Madagascar !
Pire, le tiers du financement du projet prévu sur deux ans a été complètement jeté par la fenêtre en une semaine. Raison invoquée : l’expert, commandité par le Conseil Régional pour faire l’état des lieux à Sainte Marie, a estimé ses notes de frais à plus de 1500 euros durant les dix jours de son séjour. Ok la vie est une fois et demie plus chère qu’à Mada, mais il faut être extrêmement doué pour réussir à dépenser une telle somme en si peu de temps, surtout lorsqu’on est censé être toute la journée dans les champs et dormir officiellement dans une chambre à 15 euros ! Chercher l’erreur ! On ne compte même pas les 500 euros journaliers qu’il demande pour son expertise. Tout ça pour annoncer à la fin qu’il faudrait construire des serres pour faire de la culture hors sol et qui coûterait approximativement au petit paysan la bagatelle de 45000 euros ! Et qu’il lui en faudrait au moins deux pour pouvoir espérer se rentabiliser ! Donc cela veut dire crédit auprès des banques, endettement à vie et sûrement sur plusieurs générations ou exportation à très bas prix auprès des bailleurs de fonds étrangers. Un rêve de modèle occidental, surtout que cet expert sait pertinemment que ce projet n’est ni sain écologiquement ni viable économiquement. Pire encore, cet expert, forcément très proche des hauts placés au Conseil Régional de la Réunion, est envoyé ainsi partout sur les îles de l’Océan Indien, afin de faire des rapports bidons et d’enrichir ses poches et celles de ses amis. Et après on nous dit que les chômeurs et rmistes coûtent cher au contribuable !
Ce n’est qu’ensuite que le petit VP est envoyé pour mener à bien cette mission. Afin de justifier les sommes investies… et détournées au passage par les nombreux intermédiaires. Et s’il faut un bouc émissaire dans cette affaire, on pointera du doigt Michaël qui n’aura pas bien fait son travail. C’est à peu près là que nous avons laissé notre ami à notre départ de Sainte Marie.
Il n’est pas vraiment besoin de vous dire combien il n’avait plus le goût à rien, réalisant à quel point il était manipulé par ses supérieurs. Il avait commencé dès son arrivée le travail avec les agriculteurs locaux, leur promettant que si SON projet est accepté, ils auront sûrement un meilleur salaire à la fin du mois et une terre fertile pendant des générations. Il avait écrit un long rapport sur un projet plus pertinent, moins coûteux, viable et rentable à long terme. Mais ce rapport n’a jamais été amené jusqu’au bureau de son chef de projet, bloqué volontairement par celui qui servait de relais. Plus tard, il apprit que ses supérieurs étaient mécontents de lui, le soupçonnant de ne rien faire sur place, et attendaient toujours son rapport.
Et maintenant, il doit attendre que les financements soient morcelés afin de pouvoir financer, une fois de plus, la venue de l’expert en Janvier prochain. Et deux tiers de l’investissement qui part pour ce fraudeur !

Après ce répertoire un peu sombre, dressons maintenant un tableau plus joyeux :
Laurent, le directeur de l’alliance de Sainte Marie, nous accueille chaleureusement dans sa modeste petite alliance en bois, face à l’embarcadère. Il nous logera le temps de notre séjour dans sa grande maison où il vit en colocation avec Michaël. Nous apprécions de vivre en « communauté » pour un court moment, l’ambiance nous rappelle un peu la nôtre, de colocation, qui nous manque parfois, même souvent (clin d’œil et gros câlins aux José, Tisha, Yo, Ben, Olas, Sylvain et cie). D’autant que comme à la maison, s’ajoute à cette colocation, Laëtitia la copine de Michaël, Greg (VP et chef de chantier de la future alliance) et Brice (stagiaire lyonnais !). Ce qui nous faisait un total de 5 poilus et 2 nénettes. Tiens, tiens !!!
Petites bouffes sympas, apéros prolongés, cotisations pour courses, débats pour refaire le monde, jardin et compost, films au vidéo projecteur le soir tous ensemble… Tiens, tiens !!
Nous nous sommes rapidement sentis chez nous dans cette maison, tout comme nous nous sommes rapidement sentis proches et intimes de ses habitants.
Antoine était là aussi pour nous accueillir à notre arrivée. En effet, nous devions travailler en parallèle pour l’alliance et pour l’association Megaptera. Antoine est le responsable culturel de cette association qui travaille dans l’océan indien pour la protection des espèces marines en voie de disparition. Le but du projet étant que nous venions une semaine avant le festival de la Baleine afin de créer avec les enfants, un spectacle qui puisse parler de ces mammifères, de leurs mœurs et des problèmes liés à leur préservation. Un bien beau projet en théorie…
En pratique, c’en est une autre… A défaut de voir arriver des groupes préalablement constitués d’enfants de 7 à 14 ans ayant choisis de faire du théâtre, comme nous l’avions demandé, quelle ne fut pas notre surprise, le premier jour de stage, de voir se pointer de joyeuses mamans avec leurs jeunes rejetons, ravies qu’il y ai une garderie à l’alliance (j’exagère à peine). Nous nous retrouvons avec une bonne dizaine de petits de 3 à 7 ans. Difficile d’envisager la création d’un spectacle théâtral parlant d’environnement avec eux… Pas de liste, pas d’inscription,… Une joyeuse anarchie régnait sur l’alliance, entre Luis et moi qui tentions vainement d’y voir clair et d’organiser les choses sous un soleil de plomb (je me suis mis à lire des contes aux petits dans la bibliothèque pour les tenir un peu aux frais et pour permettre à Luis d’esquisser un semblant d’animation jonglage), et Laurent et Antoine qui tentaient de ramener plus d’enfants en allant les chercher en voiture et en les ramenant donc en milieu de matinée, en milieu d’activité… Merci les gars pour l’orga, nous avons perdu une journée ! Il faut dire pour leur défense, qu’on se trouve face à un éternel dilemme à Mada : soit on propose des activités payantes que seules les familles aisées pourront se payer (comme à Majunga) et les enfants seront présents, soit on les offre gratuitement et il devient alors très difficile d’avoir un groupe fixe et assidu. Laurent et Antoine tenaient à la gratuité, pour ne pas faire de sélection, c’était louable. Finalement le bordel s’est organisé dès le lendemain. J’ai fait de la danse avec les petits bouts pendant que Luis faisait du jonglage avec les grands et ensuite on faisait des acrobaties tous ensemble, les grands portant les plus jeunes, c’était très bien. Tant pis pour le projet théâtre qui est passé à la trappe, c’était le projet des adultes encore une fois, pas celui des enfants qui préféraient les acrobaties, nous n’avons pas insisté.
Le deuil du spectacle environnemental étant fait, les répétitions allaient bon train, nous nous tenions prêts pour le festival.
J- 4 toujours rien en vue, les locaux commencent à se poser des questions, des bruits courent… Normalement, les sponsors arrivent, installent leurs tentes, on monte des gargotes sur le stade autour de la scène. Cette année par contre, rien ne semble se préparer, le calme plat… Il faut préciser, que le festival de la baleine n’est pas organisé, comme on pourrait l’imaginer, par les habitants de l’île. Il s’agit d’un festival monté de toutes pièces, depuis plusieurs années, par Projetcom, une agence de pub de Tana. Il y a seulement sur Sainte Marie un petit comité, le FEBIS - comprenant les grands politiciens de l’île qui voient une bonne occasion de s’enrichir - ainsi que l’Alliance Française et Megaptera, pour amener - et légitimer - les seules activités culturelles du festival. Mais ce comité n’a pas de pouvoir sur l’organisation. Pour ses membres et Projetcom, la programmation n’est nullement un but en soit, mais plutôt un appât à touristes.
Nous apprendrons seulement la veille de l’inauguration - mais sans grande surprise - l’annulation officielle du festival. Nous apprendrons en même temps que la décision a été prise 2 mois au préalable à Tana, sans que les Saint-mariens en soient avisés. Seul le comité du FEBIS était au courant. C’est peut-être la raison pour laquelle l’AF et Megaptera n’étaient plus invités aux dernières réunions. La peur sans doute de voir la nouvelle se répandre trop tôt avant de pouvoir tenter de louer des stands fictifs aux hôteliers de l’île pour la modique somme de…500 euros !!! Ben voyons rien que ça !! Il va falloir en vendre des brochettes de zébu ou des T-shirts pour combler cette dépense.
Heureusement que ces voleurs ont des yeux bien plus gros que leur énorme ventre car presque aucun restaurateur ni commerçant n’a accepté de payer une telle somme.
Les éditions précédentes, il y avait des dizaines de gargotes dans l’enceinte du festival. Grâce à la location peu onéreuse de l’une d’entre elles – 30 euros – nombreux étaient ceux qui venaient vendre à manger et surtout à boire. Cependant, ces locations ne comblant pas les énormes déficits pour les organisateurs du festival, les grands chanteurs de l’île qui venaient jouer n’étaient jamais complètement payés.
Ne voulant pas retomber dans le panneau, les artistes invités cette année ont exigé une avance à Projetcom qui, n’ayant pas les ressources financières suffisantes, ont renvoyé la balle au FEBIS qui l’a renvoyé aussitôt à son expéditeur pour les mêmes raisons.
Pas d’argent donc pas d’artistes donc pas de festival. Par ailleurs, Projetcom découvre avec stupeur que le FEBIS décide cette année d’avoir le monopole des gargotes. 4 énormes stands doivent remplacer les dizaines des éditions antérieures. Jackpot assuré.
Sauf que ce comité de corrompus ne se soucie guère de savoir comment les recettes des locations de gargotes vont être comblées. 4 gargotes à 30 euros au lieu d’une centaine, qui va payer le manque à gagner ? sûrement pas le FEBIS. C’en est trop pour Projetcom, l’agence démissionne en juin sans que personne n’en sache rien, mis à part le FEBIS, qui se gardera bien de taire cette annonce jusqu’à la veille de l’ouverture officiel du festival pour faire venir les touristes et louer ces fameux emplacements fictifs. Quitte à être corrompu, avide et sans scrupules, autant l’être jusqu’au bout. Il est certain que les rares à avoir accepté l’offre de ces mafieux peuvent toujours rêver pour se faire rembourser.
Un scandale ! Et une belle publicité mensongère pour les touristes venus nombreux assister à ce « festival international » d’après les affiches dans les rues de Tana et les journaux nationaux. Du grand n’importe quoi.
Peu importe, nous maintenons, quant à nous, nos engagements. Le festival des baleines n’aura pas lieu, mais les enfants iront au bout du projet que nous rebaptisons festival des baleineaux. Nous jouerons 3 fois notre spectacle et celui des enfants (qui obtient encore une fois un grand succès), une artiste peintre viendra peindre une immense fresque marine, et l’expo et les jeux conçus par les animateurs de Megaptera auront lieu.
Et voilà comment nous sommes devenus, avec notre modeste duo de clowns, les têtes d’affiche d’un festival international !!! Mais comme nous faisons toujours partie du camp des doux rêveurs, plutôt que du camp des requins, nous apprenons en même temps que la peintre touche un cachet de 500 euros pour 3 matinées de travail, et que nous, nous toucherons 15 000 Ar par jour pour nous nourrir, ce qui nous mène pour 7 jours de répétition et 3 jours de représentations à un total de 150 000 Ar, soit environ 60 euros (chacun). Auquel s’ajoute le remboursement de l’aller-retour en bateau pour rejoindre Sainte-marie. On est sympas quand même !!!
Du coup, nous n’avons pas eu trop de remords à réclamer à Megaptera une sortie gratuite d’observation des baleines. Antoine, tout occupé à savourer les joies nocturnes, ne s’inquiétait plus guère de notre sort. Heureusement Seb et Cécile nous ont concocté une jolie petite escapade en mer. Nous avions 2 parfaits connaisseurs de la mer et de ses habitants pour nous tous seuls, le bonheur !
Après quelques problèmes mécaniques, qui nous ont d’ailleurs permis d’observer à la jumelle, un groupe de 5 mâles s’en donnant à cœur joie pour impressionner la femelle. Chacun y allant de son saut. Je n’ai pu retenir un cri d’admiration en voyant pour la première fois, un de ces monstres - de la taille d’un autobus - s’éjecter totalement hors de l’eau. C’est délirant ! Et, comme toutes les immensités naturelles, cela nous replace humblement à notre petit statut de simple être humain.
Une fois sur le bateau, le spectacle continue, nous suivons une heure durant, un groupe de 3 baleines, une femelle escortée de ses deux prétendants. Ils semblaient tous 3, danser à la surface de l’eau, selon une chorégraphie légère et sensuelle, se frôlant, se croisant, sortant régulièrement leur caudale en décalé ou synchronisé… Un spectacle magique ! Nous avons ensuite dû les laisser, car le temps d’observation près d’un groupe est limité à une heure, ensuite il est nécessaire de les rendre à leur intimité. C’est alors une mère et son baleineau que nous avons rencontré. Par chance pour nous (peut être pas pour la mère), c’est sur un petit turbulent que nous sommes tombés. Il n’a cessé pendant les 30 premières minutes de notre approche, de jouer au grand, en sautant, s’expulsant de l’eau le plus haut possible. Il était trop mignon, et très jeune, deux semaines environ d’après nos experts, car encore très clair (cf la photo où on le voit fièrement dressé devant sa mère). Pris d’une soudaine fatigue, il s’est ensuite allongé contre le flanc de sa mère pour une sieste. C’est là que nous l’avons laissé, il était l’heure de rentrer…



Et puis Sainte-Marie, c’était aussi… les bons petits plats de Jérémie « Au p’tit chez vous », sûrement une des meilleurs tables de tout Mada, les billards à la banane, et les karaoké de Laurent (qui peuvent être vraiment drôles après quelques rhums de Michel et un répertoire Renaud – Gainsbourg), les plages magnifiques de l’île aux nattes, les sandwichs de Sergio, et tant d’autres délices…





C’est l’âme en peine que nous avons dû reprendre la route, avec pour mission traverser le pays d’est en ouest pour rejoindre Morondava (à côté Lyon-Bordeaux c’est de la rigolade !). Pour se faire un bateau, 4 taxi-brousse, des dizaines d’heures de route, 3 jours et 3 nuits avec 2 haltes chez les amis.
Première halte à Tamatave, où nous rejoignons une bonne partie de l’équipe des profs de Tanambe (notre première mission, 2 mois dans la brousse, rappelez-vous c’était en mars), qui était rassemblé là pour un mariage. Fatigués de leur nuit festive et plus pudiques, ils laissent bien moins que nous transparaître le plaisir de se revoir. Nous sommes un peu surpris de leur distance, mais ravis d’avoir des nouvelles du village, de la maison, des enfants, de l’école…
Deuxième halte chez Karine, à Antirabe, beaucoup plus franche et chaleureuse celle-ci. Karine, en très peu de temps, est devenu quelqu’un de très proche de nous. Nous nous comprenons, nous parlons des mêmes choses et partageons les mêmes idées. Nous venons de la même planète, comme on dit ! C’est un petite nénette super chouette. J’ai même fait une drôle de rencontre chez elle : une de ses amies, venue avec un groupe d’ados parisiens pour faire un camp de vacances coopératif, a travaillé
il y a 7 ans dans la même école que moi, à Ciudad del Este, au Paraguay !!! On doit être à tout casser une trentaine sur la planète à avoir l’expérience d’avoir tenu bon dans cette ville cauchemardesque, il a fallu qu’on se retrouve à Mada. Le monde est une fois de plus, bien petit , et c’est toujours à son bout qu’on retrouve quelqu’un de très proche !!!

On a calculé aujourd’hui qu’on rentre dans 4 mois et demi, déjà !!! Alors, à tout près los amigos.

Milie & Luis.

P.S : Si vous vous ennuyez au travail, ou n’avez rien à faire chez vous, voici un petit jeu : Le qui écrit quoi ! Envoyez-nous vos réponses !
Ca va pas être facile pour les lecteurs qui ne nous connaissent pas. En même temps, il faudrait déjà qu’il y en ait…

mercredi 22 août 2007

Chaud-Froid à Antsirabe

L’arrivée à la gare routière d’Antsirabe est l’une des plus agitée du pays pour les passagers des taxi-brousse. On est immédiatement encerclé par des dizaines de pousse-pousse prêts à se brader tellement ils sont nombreux. Antsirabe ne compte presque aucun taxi, ce qui réduit considérablement les nuisances sonores, visuelles ou odorantes dans cette ville située à plus de 1200 mètres d’altitude. Heureusement, ses marchés et ses thermes, réputés dans tout le pays, pallient à son calme relatif.

Mais il y a également autre chose qui déborde d’énergie dans cette ville paisible et réchauffe le climat frisquet de l’hiver : l’association « Grandir’à » où nous avons vécu deux semaines fortes en émotions.

Il était une fois la grande maison blanche au bout du chemin. Il était une fois une femme et les mômes de la rue, Blanche-Neige et ses 14 nains, Mère-Thérésa et les démunis…

C’est l’histoire de Karine, Tanjona, Tina, Joseph, Fanampy, Rija, Mamy, Naina, Rivo et les autres… Ils étaient dans la rue depuis toujours, ces petits hommes aux gueules cassées, aux yeux durcis, aux pieds cornés, rois de la démerde et princes du petit marché d’Antsirabe. Karine, un jour, pose ses bagages dans cette ville, avec son diplôme d’éducatrice en poche. Elle sait que sa place est ailleurs que dans ces structures françaises, où elle ne se sent pas bien. Elle croise le chemin de cette petite bande de crève-la-faim. Et… de petits billets en plats de riz offerts au quotidien, ils s’attachent. Elle à eux, et eux à elle. Elle loue une petite maison, où ils apprennent à vivre ensemble… Elle nourrit sa petite famille sur ses réserves, mais ça ne peut durer… Le cœur en peine, elle doit les rendre à la rue, pour rentrer en France, chercher une solution financière. Elle rentre quelques mois plus tard à Mada, avec une asso « Grandir’a », qui finance maintenant le fonctionnement de la nouvelle maison, la grande maison blanche au bout du chemin !

Beaucoup de personnes travaillant dans le social ou l’humanitaire ont tenté de dissuader Karine en argumentant qu’il n’y avait plus aucun espoir de changer, à leur âge, des adolescents de la rue violents, peu enclins à l’autorité et aux règles. Mais ne voulant en faire qu’à sa tête, elle s’est lancée corps et âme dans le projet dictée par son cœur. En six mois ces garçons, qui n’arrivaient auparavant à rester dans aucune structure d’accueil - car trop désireux de conserver leurs libertés - ne s’enfuient que rarement de leur nouvelle maison, synonyme de sécurité et de cadre.

Ils ont des tâches ménagères à remplir tous les jours et suivent des cours de lecture et écriture dans une pièce de la maison qui leur sert d’école.

C’est là-bas que nous avons rencontré Karine, les 14 jeunes (âgés de 14 à 20 ans), l’équipe de 3 éducateurs, plutôt cuisiniers qu’éducateurs et une cuisinière hors pair, faisant bien plus que la cuisine lorsqu’elle est en contact avec ces adolescents.

Notre arrivée n’est pas une vraie curiosité pour ces gamins, tant mieux. Ayant été constamment en contact avec les vazahas lorsqu’ils vivaient dans la rue, ils ont appris à les connaître. De plus, cet été, ou plutôt cet hiver devrais-je dire, des groupes d’adolescents venus de France, sponsorisés par les comités d’entreprises, débarquent régulièrement à la maison pour passer une semaine en leur compagnie. Et, à la plus grande joie de nos petits malgaches, ces colonies de vacances sont composés à 80% de filles ! Et en regardant les mots qu’elles ont laissés sur leur cahier d’école et sur le livre d’or de l’association, elles ont passé un moment inoubliable, formateur et sans précédent dans leur vie.

Et comme nous l’avons souvent dit durant ces deux semaines, nous n’avons pas l’attrait d’une jeune fille de 17 ans à qui l’on veut montrer sa plus belle et douce facette ! Au moins, nous aurons eu la « chance » de les voir en entier, franc, direct, sans hypocrisie… et non pas juste sous leur meilleur jour.

Mais notre première aventure, disons plutôt mésaventure, commence dès le premier soir où la chambre dans laquelle nous sommes hébergés pendant quinze jours est infestée de puces de parquet. Et, tout comme avec les moustiques, c’est Milie qui reçoit toutes les faveurs et les petites attentions des insectes ! Moi, jamais, même pas une piqûre. Elle, au contraire, se réveille avec plus de 150 boutons de la nuque à la plante des pieds. Et cela va continuer encore comme cela tout le week-end, le temps de trouver un magasin ouvert qui vende de la cire anti-puce et du DDT, le pire insecticide du monde. Et même après cela, on continue d’en trouver dans les draps. Autant dire que ses nuits sont très courtes à force d’être réveillée par les démangeaisons que provoquent leurs morsures. Nous pouvons même nous enorgueillir d’être passé maître dans l’art d’attraper et d’exterminer ces sales bêtes au bout de cette quinzaine !!

Notre deuxième incident survient le deuxième jour de notre arrivée. Nous organisons un dimanche après-midi de festivité où nous voulons jouer notre spectacle et sortir le parachute pour les enfants du centre, pour leurs amis et ceux du quartier. Et voilà que nous nous rendons compte juste avant de jouer que quelqu’un s’est introduit dans notre chambre et nous a volé notre téléphone portable et notre clé USB. Pour cela, il a dû escalader tout un étage avant de rentrer par la fenêtre. Karine nous avait déjà mis en garde de toujours fermer les volets en quittant notre chambre car des vols avaient déjà eu lieu à la maison. D’ailleurs deux adolescents avaient définitivement été expulsés à cause de cela récemment. Mais nous avons suivi son conseil…un peu trop tard.

Préférant tout de même jouer le spectacle plutôt que les policiers, nous ne comptons pas en rester là sans rien faire. Furieuse et dépitée, Karine prive les enfants du repas du soir qui venait d’être préparé jusqu’à ce que l’auteur se dénonce. Rien n’y fait. Nous les laissons alors avec leur conscience le temps d’aller manger au restaurant et de revenir. En rentrant deux heures plus tard, seuls trois enfants dorment à la maison. Les autres sont sortis au petit marché mener leur propre enquête et retrouver le portable. Dans la nuit, certains garçons de la rue, qui avaient assisté au spectacle, ont été amenés de force par nos garçons car ces derniers avaient de forts soupçons sur eux. Du coup, nous menons toute la matinée des interrogatoires sur ces enfants de 5, 7, 9 et 11 ans ! Cela nous fait mal au cœur mais nous n’avons pas le choix. Cependant, malgré leur tout petit âge, ce sont de parfaits menteurs, et malgré la pression et les menaces, les deux plus grands ne lâchent rien. Pire, ils se mettent à pleurer en nous disant qu’ils sont les têtes de turcs des grands parce qu’ils sont pauvres et petits et qu’ils n’ont pas peur d’aller à la police pour s’expliquer ! Leur attitude et l’expression sur leur visage sont plus que convaincantes…

Seulement voilà, les deux petits, plus malléables, nous assurent avoir vu les deux grands jouer avec le portable dans le jardin avant le spectacle et que le plus grand l’a vendu à un poissonnier du grand marché pour… 20 centimes d’euros !! À ce prix-là, pourquoi voler ? Franchement, nous aurions préféré qu’ils l’aient vendu afin de manger pendant un mois sans devoir voler ou travailler.

Nous voilà donc partis à la recherche de ce fameux poissonnier au grand marché… en vain. Plus d’autre choix que la police. Les petits ne sont pas rassurés de cette ultime option. Solo, le plus vieux des voleurs présumés, marche devant nous, avec une allure assurée, en direction du commissariat. Pas parce qu’il est persuadé que nous n’irons pas au bout de nos paroles mais parce qu’il est certain de résister aux pressions des policiers. Mais il déchante vite.

Dès notre arrivée, nous expliquons notre problème à l’officier supérieur. Ce dernier nous demande alors de déposer une plainte contre les quatre enfants et les éventuelles autres personnes impliquées dans cette affaire. Nous retentons de lui faire comprendre que nous ne désirons pas porter plainte, seulement récupérer le portable. De plus, au grand regret de l’officier, les deux petits étaient des témoins et non des coupables. Il faudrait seulement mettre un peu la pression aux deux plus âgés. Deux policiers mettent alors ces derniers dans un trou situé sous un bureau en leur criant dessus et en faisant passer le talkie-walkie pour des appareils à décharge électrique. Méthode que nous n’apprécions guère mais qui a néanmoins permis de les faire avouer en moins de dix minutes. Ils l’avaient bien pris dans notre chambre et l’avaient vendu non pas à un poissonnier mais à une de leur connaissance, Josh, 13 ans. Quelques minutes plus tard, nous sommes dans la Kangoo verte de la police (seuls véhicules officiels avec les combi Wolkswagen) à sillonner les ruelles que Josh a l’habitude de fréquenter. Nous le trouvons sans aucun mal et le gamin se retrouve immédiatement à l’arrière de la voiture où les policiers l’assènent de gifles violentes, à la limite des coups de poing - qu’il aurait reçus si nous n’avions pas été là. Karine connaît bien Josh, c’est un gamin paumé mais pas mauvais. Cela nous fait mal au cœur d’entendre les flics le taper au commissariat et malgré nos remontrances sur leur façon de mener leur enquête l’officier, que nous n’aimons guère, veut nous rassurer en disant qu’ils ne tapent pas vraiment car ils n’ont pas le droit, c’est seulement de l’intimidation…

Josh avoue très rapidement avoir été là lors de la vente du téléphone mais que les enfants n’ont pas donné le bon nom, sans doute par peur des représailles. Ils l’ont vendu à Dog, 15 ans. L’antipathique officier nous demande alors de lui donner de l’argent pour payer l’essence ! « Vous savez, vous êtes à Madagascar ici, pas en France ! ». Un bon gros baratin pour un petit bakchich. Nous le fusillons du regard en lui faisant comprendre que l’on préfère continuer à pied que donner un seul ariary à une police brutale et corrompue. Ils auraient très bien pu questionner Josh dans la voiture et ainsi retrouver Dog dans la foulée. Ils ont préféré se défouler sur Josh pendant une heure et laisser filer un portable qui passait, pendant ce temps-là, d’une main à une autre et faisait monter les enchères quelque part dans Antsirabe.

Il est vrai que la police en France ne se démènerait jamais autant pour retrouver un téléphone portable, même s’ils pensent avoir mit la main sur un réseau. Mais cette police, qui se veut officiellement « irréprochable » avec ceux qu’elle arrête, est loin d’être une police exemplaire dans ces méthodes et ses réflexions.

Après avoir passé deux heures à marcher dans tout Antsirabé, à rentrer dans les bidonvilles en compagnie de la police, à se faire dévisager au petit marché (repère des malfrats du coin), nous espérons avec Karine que cette histoire n’aura aucune retombée sur nous et sur les enfants du centre. Les nouvelles circulent très rapidement dans cette ville où tous les démunis connaissent Karine.

La police arrive enfin à mettre la main sur Dog et nous rentrons une fois de plus au commissariat. Cette fois, c’est presque un passage à tabac de la part de nombreux policiers présents, aussi bien hommes que femmes. Ils sortent du bureau avec un énorme sourire sur leur visage et un bâton à la main qu’ils donnent chaleureusement au prochain collègue voulant se défouler sur un petit voleur, qui plus est, un gamin de la rue. Nous en avons assez de tout cela, nous voulons que cela se termine le plus vite possible. Mais nous ne disons rien, trop dégoûtés par la tournure que les événements ont pris et trop dégoûtés par nous mêmes d’être incapables d’arrêter ces salops qui ont la loi avec eux et qui, malgré tout, font cela pour nous. Alors nous attendons à côté de nos trois petits voleurs. Nous voulons prendre dans les bras les deux plus jeunes qui sont de plus en plus terrorisés par ce qui se passe autour d’eux, mais nous savons que nous ne devons pas. Si nous sommes là tous ensemble, c’est bien à cause d’eux et ils doivent réaliser à cet instant précis les conséquences de leurs actes.

Un policier vient nous voir. Il nous dit que Dog avait encore le téléphone à midi mais qu’il l’a revendu à Gérard, 17 ans, pour 10000 ariarys, soit 4 euros. Seulement voilà, la police ne peut interpeller un suspect après 19h. Ils débarqueront chez lui à 5 heures du matin. Mais pour créer la surprise, ils incarcèrent Dog pour la nuit. Pas bête les flics. Sauf qu’à côté de cela, ils libèrent Josh, Solo et Feno en les somant d’être au commissariat à 8h00 le lendemain matin !! Pire, les policiers osent nous demander de nous porter garants d’eux pour la nuit - à cause de leur jeune âge – afin qu’ils respectent leur engagement : « Comme vous les connaissez, vous pouvez les faire dormir chez vous par exemple » Pas culottés les flics ! Après leur avoir déjà payé un déjeuner et leur premier tour de bus de leur vie (pour se rendre au grand marché), on va sûrement inviter nos voleurs à venir dormir chez nous !!

Seul Super Officier était contre cette idée. Heureusement, il apprend la nouvelle trop tard. Les gamins ont déjà quitté l’enceinte du commissariat. Sinon, ils auraient eux aussi dormi en cellule - même si, nous devons le reconnaître, cela aurait été la plus logique des choses à faire - afin qu’ils n’aillent pas alerter ce fameux Gérard.

Le lendemain à 8h00 précises, les enfants ne sont pas là et les policiers sont en train d’interroger, avec leur « savoir faire », Gérard. Au bout d’une demie heure de cris, de coups et de rires, les policiers nous font savoir que le téléphone a quitté les mains de Gérard hier soir pour un autre receleur, Fab 17 ans, en échange de 17000 ariarys.

Les policiers tentent alors d’alors chercher ce Fab en ville. Nous pouvons attendre des heures avant qu’il le retrouve et ce temps nous ne l’avons pas aujourd’hui. Cette histoire a retardé les ateliers, l’école et Karine dans son emploi du temps chargé. Nous demandons alors au « sympathique » officier de nous appeler dès qu’ils auraient du nouveau mais il rétorque en disant qu’il n’a plus de crédit sur son téléphone !!

De plus, le grand commissaire de la police d’Antsirabe nous fait comprendre que s’il fallait continuer l’enquête, je devais absolument porter plainte contre tous les gens impliqués dans l’affaire, aussi bien les petits voleurs que les gros receleurs susceptibles d’être interpellés. Et aussi malfrats et notoires que ces derniers pouvaient être, les enfants de 9 ans allaient recevoir la même peine qu’eux. C’est à dire de la prison ferme et pour un bon moment. La police déteste les enfants de la rue et les voleurs. Le seul moyen de changer cette ville ou leur vie, c’est de les écarter de l’ordre public. Nous refusons catégoriquement de signer quoi que ce soit qui détruirait la vie de ces gamins, malgré tout ce qu’ils ont pu nous faire. Le commissaire, énervé par le fait que nous tenons tête à ces arguments stupides et par notre refus de porter plainte, nous dit alors de nous débrouiller tous seuls à présent parce qu’il n’allait plus faire perdre le temps de ses employés à cause de nous. A notre grand soulagement, les policiers retirent les menottes à Gérard, laisse sortir Dog de cellule et averti Solo, Josh et Feno – arrivés en temps avec une heure de retard – que s’ils devaient les recroiser au commissariat pour une affaire similaire, ils seraient encore moins « gentils » avec eux.

Nous sortons avec les cinq nouveaux libérés du commissariat et nous les prenons à part un peu plus loin. Enfin, à part est un très grand mot. Dans un pays où tout le monde se mêle de tout et surtout de ce qu’il ne le regarde pas, nous nous retrouvons vite entourés par une dizaine de personnes. Dès que nous réussissons à en faire partir quelques uns, ce sont deux fois plus qui arrive.

Bref, nous faisons comprendre à ces enfants qu’ils ont eu beaucoup de chance de tomber sur nous et que nous voulons tout de même la monnaie de notre pièce. Ils ont 48 heures pour mettre la main sur ce portable, sinon on hésitera pas cette fois à porter plainte. Si seulement les petits nous avait dit la vérité dès le départ, nous aurions vu Dog ou Gérard avant la vente et personne n’en serait là aujourd’hui. Cet appareil n’est pas d’une grande valeur, mais nous avons tous les numéros importants pour la suite de notre voyage et sans lui personne ne peut nous contacter. Nous ne voulons pas encore bloquer la puce car nous gardons un infime espoir. Les gamins acquiescent en nous remerciant sincèrement de les avoir sorti de là.

Deux jours plus tard, nous nous rendons avec Karine au petit marché, lieu du rendez-vous. Personne. Comme par hasard. Ça s’annonce mal. Le temps est élastique à mada.

Nous nous mettons à leur recherche et rapidement nous apercevons Josh assis sur les escaliers d’un bâtiment avec un chiot dans les mains. Il a l’air serein. Il le devient beaucoup moins à notre arrivée. Nous le sommons de partir à la recherche des autres. Au coin de la rue, nous retrouvons Solo et Feno traînant avec deux amis. Et voilà que les trois partent à la recherche des deux ados tandis que nous les attendrons dans un bar non loin du marché. Ils ont 20 minutes.

Près d’une heure plus tard, ils reviennent seulement avec Dog. Nous apprenons alors que Gérard aurait quitté Antsirabe pour partir dans sa famille à Fianarantsoa, à 280 kms au sud ! Et il aurait emmené avec lui plus de 60000 ariarys, l’équivalent d’un bon mois de salaire malgache, le temps de voir venir jusqu’en septembre et surtout de faire passer beaucoup d’eau sous les ponts. Ainsi, nous ne pouvons porter plainte ni contre lui, ni contre les autres. Info ou intox de la part de parfaits menteurs, nous arrivons au même constat : nous ne reverrons pas ce téléphone et nous ne pouvons rien faire de plus. Il ne nous reste plus qu’à les avertir de ne plus s’approcher du centre à l’avenir et les sermonner sur toute cette histoire en espérant que cette dernière leur fera prendre conscience de la nécessité de gagner de l’argent en travaillant plutôt qu’en volant.

Quelques jours plus tard, je vois Feno en train d’aider cinq adultes à pousser une charrette pleine de fagots de bois dans les rues d’Antsirabe. Est-ce que ce petit, sans doute le plus marqué par son passage au commissariat, avait enfin compris la leçon ? Ou fait-il déjà cela depuis longtemps, comme tous les gamins de la rue qui font des petits boulots, par-ci par-là, pour survivre ?

Difficile à dire. Mais cela me fait vraiment plaisir de le voir là même si ces adultes n’ont pas vraiment besoin de la force physique d’un gamin de 9 ans.

A quelques mètres de là Josh est en train de lézarder devant la gare comme à son habitude. Il y a des choses qui changent et d’autres… pas.

Mais le pire déboire que nous allions connaître restait à venir.

Nous rentrons du restaurant vers minuit et voilà qu’arrive Naina avec Rivo en vélo en même temps que nous. Naina avait reçu l’autorisation exceptionnelle de sortie pour rejoindre sa famille pour le fahamidena ( ?), le retournement des morts. Cette tradition nationale consiste à ouvrir le caveau familial afin de nettoyer les os d’un défunt de la famille - enfant, parents, aïeux – et les remettre dans un linge propre. C’est alors l’occasion de réunir tous les membres de la famille et offrir une énorme fête à tous les invités et au village. Des orchestres de musiques sont même loués afin de mettre l’ambiance pendant les deux jours.

Juillet et août sont les deux mois où les fahamidena sont les plus nombreux à Antsirabe. C’est aussi un bon prétexte pour nos ados de sortir du centre car ils ne peuvent le quitter de toute la semaine, aussi bien la journée que la nuit.

Karine commence à demander à Rivo pourquoi il était sorti et surtout pourquoi ils rentraient ensemble à une heure aussi tardive. Naina, l’un des aînés du groupe, aussi intelligent que nerveux, commence à s’en mêler. Il commence même à parler avec un langage plus que familier en malgache à Karine. Le ton monte entre eux et voilà que Naina balance le vélo tout neuf du premier étage de la maison. Ni une, ni deux. J’interviens alors en lui disant qu’il ne dormira pas là ce soir. Réaction sûrement due aux vestiges mémoriels de mon ancien travail de surveillant dans un centre d’hébergement d’urgence à Lyon. (Bonjour au passage aux ex-futurs collègues)

Naina commence à me répondre violemment et à être bien agressif envers moi. Normal, je ne suis pas un éducateur et de plus je suis le seul homme adulte de la maison. Nos yeux sont à un peu moins de 20 cms. Je peux sentir l’odeur du rhum qui émane de sa bouche qui m’assène d’insultes. Je ne me laisse pas faire. Pire, une petite claque s’échappe de ma main gauche. Et là c’est le drame, tout s’enchaîne.

S’ensuit alors un combat de coq pendant près d’une heure où Naina s’est complètement métamorphosé en une boule de fureur. Je repousse chacun de ses assauts, sans toutefois qu’il ne décoche un seul coup de poing ou pied. Karine tente de nous calmer mais, comme lui, l’alcool ne me calme pas, au contraire. J’ai le poing tendu et je n’aime vraiment pas ça. Je pense aux techniques de gestion des conflits verbaux et physiques que je suis sensé adopté dans ces cas, milie tente de me raisonner, mais rien n’y fait. S’il me touche, je frappe ce gamin de 16 ans. Je ne veux pas mais je sens que j’en serai capable. C’est l’une des rares fois que ces émotions m’habitent et je me déteste de penser ainsi. Il est maintenant persuadé que j’ai insulté sa mère et son état empire. Je me souviens que dans notre engueulade une insulte comme « va te faire foutre » est sortie de ma bouche mais c’est tout. Les autres enfants restent spectateurs de la foire qui se passe sous leurs yeux. Ils réagissent à peine quand Naina fait tomber Karine à terre alors qu’elle tentait de s’interposer. Là, c’est Milie tremblante qui m’arrête, sinon je crois que je lui rentre dedans et c’est exactement ça qu’il cherche. Que je donne le premier coup.

Karine me demande de rentrer discrètement dans la chambre pendant qu’elle détourne son attention, ce que je fais. Elle tente en vain de le calmer mais il ne cesse de répéter en boucle pendant près d’une heure « je suis malgache, il est vazaha, pourquoi il insulte ma maman, où est Luis ? ». Sa mère est atteinte d’une grave maladie dont personne n’est certain de son issue. Et Naina a le cœur rongé par la douleur, la peur, la haine et son impuissance à guérir sa maman. Et voilà qu’il voit en moi le symbole de tout cela, en plus de trouver quelqu’un qui veuille lui mettre un cadre, sans parler de l’effet du rhum sur un enfant de 16 ans.

Enfermés Milie et moi dans la chambre, nous espérons qu’il va se calmer. Karine lui disant que nous sommes partis à l’hôtel. Mais il n’est pas dupe et je pense que les autres ont dû lui dire que nous sommes restés. La solidarité des enfants de la rue. Ils nous aiment bien mais Naina est comme le grand frère de toute la communauté. Lorsqu’il est calme, c’est un garçon très attachant, vif et responsable malgré ses rares sautes d’humeurs. Mais avec une saute d’humeur comme celle-ci, personne ne l’avait jamais vu, ni Karine qui le connaît depuis plusieurs années (et qui est un peu son enfant préféré), ni les autres qui le côtoient depuis bien plus longtemps.

Il se met maintenant à enfoncer la porte de Karine qui ne veut pas lui ouvrir, espérant par là qu’il se lasse de répéter sa seule et unique maxime de la soirée : « je suis malgache, il est vazaha, pourquoi il insulte ma maman, où est Luis ? ». Il trouve, à l’intérieur de la chambre sans verrou désormais, trois bouteilles d’un litre de THB, la bière malgache, que nous avions achetées à l’occasion du fameux dimanche de fête au centre. Karine, terrorisée par son état, n’a le temps que d’en envoyer deux par la fenêtre afin qu’elles se brisent au sol. Mais il arrive à prendre la dernière qu’il boit cul sec. C’est alors la deuxième transformation de Naina de la soirée. Il est 3H00 du matin.

Et maintenant il s’en prend à notre porte. Il la défonce en trois coups de pied. Karine part chercher les enfants qui sont repartis se coucher entre temps au rez-de-chaussée. Mais mauvaise surprise pour lui, je suis toujours décidé à ne pas calmer le jeu, vu son état, c’est trop tard. Il veut ma peau. À sa grande surprise, je le repousse de la chambre avec ma chaise en guise de bouclier. Cet objet est sûrement le meilleur outil de défense qui existe. Personne ne peut s’approcher de vous et l’on peut toujours frapper grâce aux pieds de la chaise. D’ailleurs c’est ce que je fais involontairement en le touchant légèrement à la cuisse. Là, il comprend que je plaisante pas non plus et qu’il ne me touchera pas, à son grand désespoir. Je le repousse jusque dans le hall comme ça. Il tente vainement de m’envoyer son bâton de bois mais je me protège derrière ma chaise. Les autres arrivent dans le salon et il ne faut pas moins de trois personnes, Karine, Milie et Robert le plus costaud de tous, pour immobiliser Naina. Il arrive à libérer une main pour envoyer des pots de fleurs et des vases à l’autre bout la pièce où je me trouve près de ma chaise. Puis il s’agenouille en criant sur le sort de sa maman. Une véritable crise de nerfs sans précédent dans sa vie. Tout le monde se met à le consoler mais aussi à lui faire comprendre que je n’ai pas insulté sa mère, et qu’il risque gros à agir de la sorte.

Ce n’est qu’avec l’arrivée de ses parents à 4h00 du matin, alertés par un des gosses du centre, que Naina retrouve son calme. Ils lui parlent doucement, sans lui crier dessus ou le gronder. Ils ont simplement répété ce que tout le monde tentait de lui dire. Le fait qu’il doit apprendre à maîtriser ses nerfs, qu’il serait dommage de gâcher cette extraordinaire chance de pouvoir avoir un toit, une éducation et à manger – chose qu’eux mêmes ne peuvent lui offrir. Il sait tout cela, tous le savent ici. Seulement parfois ils l’oublient… parce qu’ils s’oublient.

Naina me fait ensuite ses excuses les plus humbles avant de nous prendre, Milie et moi, dans les bras. Cette histoire aura renforcé nos liens avec lui par la suite. Son comportement aura été des plus exemplaires à l’école, dans les tâches de la maison et dans ses relations aux autres.

Fort heureusement, ces petites mésaventures ne représentent pas notre séjour à Antsirabe, qui fut aussi empli de merveilleux moments. Pendant que Luis écumait les commissariats, Milie faisait la maîtresse :

Le seul projet que nous ayons réellement mené à bien dans cette maison avec l’investissement le plus total des garçons fut l’école. Nous n’avions jamais évoqué cette possibilité lors de nos contacts par mails avec Karine. Mais à notre arrivée, elle nous raconte ses aventures avec sa désastreuse équipe encadrante, et notamment avec l’institutrice malgache qu’elle a dû virer en juin. La maîtresse ennuyait terriblement les garçons qui du coup le lui rendaient bien, la guerre était déclarée entre eux, et les apprentissages en déroute… Séduite par le challenge, je lui propose aussitôt de rouvrir l’école pendant les deux semaines où nous serons là, j’assurerai les cours tous les matins tandis que les répétitions du spectacle auront lieu l’après-midi !

Les garçons ont des niveaux très différents et Karine a déjà fait un gros travail d’évaluation qui lui a permis de constituer 3 groupes :

- Le groupe 1, c’est-à-dire Joseph, Alain, Naina, Michel, Robert et Mamy, ont tous déjà été scolarisés à un moment donné par leurs parents. Ils savent lire couramment, mettre du sens dans leur lecture. Avec eux, j’ai plutôt travaillé le vocabulaire, la grammaire, la conjugaison, l’utilisation du dictionnaire. Veillant à la fois à inclure des jeux dans mes cours (des cadavres exquis pour réinvestir les compléments circonstanciels par exemple), et à exiger une certaine rigueur lors de la première séance, je peux dire que la suite s’est assez merveilleusement bien passée. Mes 6 grands élèves étaient d’une application rare (tirant la langue pour soigner leur écriture) et dévoilaient une envie d’apprendre boulimique. Une expérience sans précédent pour moi et des plus formatrices !

- Le groupe 2, composé de Rivo, Tanjona, Rija et Donne, presque alphabétisés car déjà scolarisés, mais pas vraiment lecteurs pour autant. Et enfin le groupe 3, Fanampy, Tina et Bôlô, qui n’ont jamais été scolarisés et qui de plus comptent parmi les plus âgés de la maison (Fanampy et Tina ont 17 ans, plus qu’un an avant leur majorité, un an avant de commencer à travailler, un an pour apprendre à lire !). J’ai proposé les mêmes activités aux groupes 2 et 3, en mettant plus d’aides à la disposition du groupe 3. La première séance était constituée de jeux de lecture autour des prénoms des garçons (mots cachés, lettres mélangées, pendus, etc…), le but étant d’utiliser un lexique qu’ils maîtrisent bien et avec lequel ils ont un lien affectif fort, afin de les sécuriser. Et ça n’a pas mal marché, ils se sont dits « c’est possible ! Je comprends ce qu’on me demande, je peux réussir à l’école » et c’était gagné pour la suite. J’ai ensuite procédé un peu comme pour une classe de CP, mixant la reconnaissance globale des mots par l’étude de textes simples (en veillant toujours à créer des textes qui parlent d’eux et de ce qu’ils font à la maison) et l’apprentissage des syllabes afin de les amener au déchiffrement. Charabia d’instit diront certains, pour traduire ils ont commencé à apprendre à lire. Maintenant, il faudra nécessairement que quelqu’un prenne la suite en septembre !

Le souci de Karine étant de trouver quelqu’un de compétent ce qui n’est pas chose facile. Pour être enseignante en primaire à Madagascar, il suffit d’avoir son BEPC, donc aucune formation pédagogique. Il y a un savoir-faire qui manque cruellement, et encore plus avec des ados de la rue évidemment !

J’ai tenté de laisser un maximum de traces de ce que je faisais, j’ai même tenu un cahier-journal des activités menées (tout comme en France), et surtout des tonnes d’affichage, témoins des savoirs. Si Karine trouve quelqu’un d’un tant soit peu motivé, il lui suffira de continuer ce qui a été amorcé…

Et pendant ce temps-là Luis, lui, a construit un précieux outil pour la classe, un magnifique abécédaire franco-malgache illustré. Aidé de quelques gamins talentueux, il a dessiné pour chaque lettre de l’alphabet, l’image d’un mot français et d’un mot malgache ayant cette initiale ! Un sacré boulot, mais quel bonheur lors de l’affichage de voir cette salle vide et un peu sombre, s’orner d’aides et de couleurs !

Nos après-midi furent un peu moins glorieux… L’objectif que nous nous étions fixé Luis, Karine et moi, était de profiter des 2 semaines pour créer un spectacle avec les 14 garçons, qui serait joué la veille de notre départ. Cette date correspondait avec l’arrivée du groupe 3 de jeunes français, constitué à 75% de demoiselles, ce qui selon nous, constituait un public qui avait tous les atouts pour motiver nos gars !

Que nenni ! Nous n’avons pas réussi réellement à analyser le pourquoi du comment, je ne me l’explique encore pas aujourd’hui… Ce projet était peut-être trop celui des adultes… Mais, alors que ces gamins adorent jongler, qu’ils sont de redoutables acrobates, qu’ils chantent comme des dieux, il a été impossible de répéter. Certains avaient, subitement, à l’heure de la répét, une tâche très importante à réaliser (linge à laver, repas à préparer, seaux à puiser…), d’autres s’enfuyaient préférant traîner au petit marché, d’autres encore (plus honnêtes finalement !) s’allongeaient au soleil refusant de participer. Un désastre ! Nous avons tenu bon 7 après-midi, pagayant seuls à contre-courant, cadrant, obligeant, motivant, … Rien n’y fit. Nous avons lâchement abandonné le projet, quittant de ce fait la maison 3 jours plus tôt que prévu. Un cuisant échec pour nous, mais qui nous laissait le temps (ce qui devient une denrée rare pour nous) de nous consoler en amoureux, et de passer 4 jours dans un lieu paradisiaque pour fêter mon anniversaire…

Voici donc comment nous nous sommes retrouvés à Mahambo, ex petit village de pêcheurs, devenu paisible village touristique. Situé sur la côte est de Madagascar et donc enclin à recevoir les cyclones dès le mois de décembre, ce havre de paix reste l’endroit idéal pour passer 4 jours en amoureux, en hiver ! Nous avons explosé notre budget, craquant totalement, on peut dire que nous nous sommes fait plaisir ! Une vraie mauvaise « novela » sud américaine : nous avons marché main dans la main sur de longues plages désertes, nous avons fait l’amour du matin au soir, nous nous sommes payé un superbe bungalow avec vue sur la mer (attention là, pas version club-med, mais plutôt la grande classe), nous nous sommes délectés de mets délicieux, nous sommes partis à la pêche à la palourde à marée basse, nous nous sommes baignés dans des eaux chaudes et turquoises et nous avons roupillé comme des bébés, éveillés chaque matin par les seuls chants des oiseaux. LE BONHEUR TOTAL !!! Nous avons surnommé ces quatre jours, le week-end farniente-baise-bouffe ! C’était on ne peut plus restructurant, avant la tournée qui commence à Ste-Marie le 15 août et qui finit le 31 octobre, sans un seul petit jour de congé au programme.


ANDARNE ET ABERNE